En 2010, le prix Goncourt est donc décerné à l'écrivain Michel Houellebecq, dont le succès phénoménal des "Particules élémentaires" en 1998, était dû à une liberté de ton et d'expression inhabituelle dans le Landerneau littéraire. Après s'être essayé au cinéma, en mettant en scène son propre roman " la possibilité d'une île", ou même à la chanson, l'écrivain fut l’objet de critiques médiatiques (il fut accusé de plagiat, de name droping ou encore de racisme, de misogynie, sans oublier son appartenance supposée à la secte rahélienne). Il s'est remis à l’écriture, et la sortie de ce dernier roman, comparé à une étude sociologique qui aurait des relents de thriller, lui a valu l'obtention du prestigieux prix parisien.
Aussi dérangeant que les précédents, quoique mieux écrit que "La possibilité d'une île", celui-ci fait penser à un patchwork de genres et de parodies, parfois habiles, mais dont le procédé finit par perdre de sa vigueur, car le roman est dense (423 pages).
En fait les trois personnages clefs du livre (les femmes n’y sont que potiches ou faire-valoir) sont les variantes d’un même prototype où il est aisé d'identifier l'auteur.
L'un est le jeune narrateur, Jed Martin, sorte d'artiste touche à tout, à la fois peintre et photographe, qui devient la coqueluche du tout Paris dès lors qu'il devient l'amant d'une "icône"de la vie parisienne.
Le deuxième est Houellebecq lui-même, dont Jed Martin propose de faire le portrait pour le remercier d’avoir préfacé son catalogue d’exposition. Entre grands (ou petits) porte-plumes d'ici et d'ailleurs, ce genre de flatterie est courant, (ainsi Houellebecq fait de Beigbeder, qui l'a défendu lors d'un procès, un "héros" secondaire mais constant de son livre.)
Le troisième est un vieux policier qui, à la veille de partir à la retraire, va enquêter sur le meurtre de... Houellebecq et de son chien, décapités et lacérés. Or tous les trois sont misanthropes et réfractaires à la compagnie de leurs semblables, femmes (elles sont tout juste tolérées), et enfants compris.
Mêlant habilement citations, réflexions de comptoir, personnages fictifs ou réels (Beigbeder y est plus vrai que nature), l'auteur nous entraîne jusqu'à la nausée dans cet univers factice et frelaté où les bonnes fortunes se font sur un caprice de diva, où un inconnu, aussi médiocre soit-il, est promu roi de Paris sur un coup de hasard, où tout, même dans le monde littéraire, est soumis aux diktats de la mode, de la publicité et du business.
Si on ne peut crier au chef d'oeuvre, (mais où sont Giraudoux, Gide ou Giono?), on doit admettre que la démonstration est d'autant plus efficace que la réussite d'un Beigbeder (publiciste de formation) ou même de Houellebecq sont de parfaites illustrations du système qu'il dénonce: pourquoi parler de littérature, là où il n’y a guère que du marketing, où tous les (mauvais)"coups" sont payants. Et si Houellebecq finit –dans son roman- découpé en lanières comme dans un film d’horreur, c’est tout simplement pour maquiller... un crime crapuleux.
N'oublions pas que les îles des antipodes ne sont pas indemnes de ces modernes dérives, y distingue-t-on encore un prix Goncourt d’un prix de... salon nautique ?©