Premier extrait :
« ...Elle les avait connus à l’époque lointaine où elle était la jeune épouse d’un haut fonctionnaire nommé à Nouméa. Elle menait alors une vie de rêve dans une villa de fonction bourgeoise, à proximité de plages au sable fin parsemé de petits coquillages dont les opercules blancs lui rappelaient étonnamment les ailes de ces papillons qui volaient dans l'air transparent, près du torrent de Haute Corse où elle avait passé son enfance. Ce signe lui parut de bon augure. Elle découvrit avec délices la grande beauté de cette île française du Pacifique.
Jérémie, son mari, un énarque fraîchement émoulu de l’école d’administration, après avoir fait ses classes au ministère des finances avait accepté avec bonheur ce poste où il comptait donner la pleine mesure de ses capacités à servir l’État. Dans les années quatre-vingt-trois, ce petit Territoire d’Outremer riche en gisements de garniérite, était déjà agité par les revendications politiques et ethniques qui en faisaient l’un des points les plus chauds du Pacifique sud...
L’administration avait attribué au secrétaire général une villa près de la plage de l’Anse-Vata, dans un quartier résidentiel réservé aux happy few des fonctionnaires expatriés, les zoreilles, comme on les appelait là-bas (...)
…Se tenant à l’écart de ces vieilles rancunes et querelles, le jeune couple avait aimé d’emblée cette île à la terre rouge dont les collines aux abords de la petite ville, étaient fleuries d’hibiscus, d’éréthrynes et de flamboyants, coiffées du panache vert tendre des aloès, ou s’essayaient à toutes les déclinaisons colorées des bougainvillées (…)
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« Quelques jours plus tard, il devait effectuer une mission délicate à Koumac, une région minière du Nord de l’île, aride, brûlée de soleil, où d’importants conflits politiques liés aux revendications tribales sur ces terres riches de minerais, menaçaient d’éclater à tout moment.
Comme d’habitude dans ce genre de manifestation, les clans kanaks s’étaient rassemblés sur les routes de mines et dressaient des barrages où les véhicules étaient arrêtés et filtrés. Des hommes en armes y brandissaient de grandes banderoles de calicots blancs, des revendications et des imprécations y étaient inscrits à la peinture rouge. Devant ces visages sombres aux traits figés et hostiles, toute négociation s’avérait difficile ou vouée à l’échec, à moins d’un événement imprévu. Leur leader, un militant du FLNKS à la carrure de colosse, dont le regard impassible en imposait à ses troupes autant qu’à ses adversaires, le front ceint du « foulard rouge » qui était le signe de ralliement indépendantiste depuis les premiers « sit-in » des années 1968, avait convoqué la presse de toute la région. Les correspondants des grands journaux australiens, néo-zélandais et fidjiens se pressaient autour des manifestants pour couvrir l’événement et rendre compte de la situation aux autres îles du Pacifique. L’information, reprise par les dépêches des grandes agences de presse, risquait d’être étalée et commentée dans les media internationaux, au grand dam de Matignon. Jérémie savait pertinemment qu’aucune erreur ne pouvait être commise ni en paroles ni en actes, qui pût permettre à ce fin stratège kanak qui savait utiliser toutes les failles de son adversaire, d’exploiter la situation en stigmatisant les « colonisateurs français », et la partie qui devait se jouer s’avérait difficile pour le représentant de l’Etat qu’il était… »
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Deuxième extrait :
« En juin 2006, à Paris, deux ans après la rencontre de Geoffrey et de Suzanne, le Président de la République française inaugure le Musée des Arts premiers. Cet événement fait la une des journaux télévisés du monde entier, et TF1 le commente sur la chaîne australienne SBS qui diffuse en version originale des émissions et des films européens. L’Australie est fière qu’un artiste aborigène du Northern Territory ait été choisi pour décorer le hall d’entrée de ce prestigieux institut parisien consacré aux arts primitifs d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Océanie. Un reportage lui est consacré où l’on voit ce vieil homme maigre, aux yeux de braise enfoncés sous des arcades sourcilières proéminen-tes, commenter dans un anglais rudimentaire les monumentales fresques dont il décore les parois du Musée. La journaliste passe ensuite le micro à une spécialiste française des peintures aborigènes, pour qu’elle explique de façon plus élaborée les techniques de cette œuvre et sa symbolique.
Malgré les dures années qu’elle a passées au coeur du désert australien Sarah a peu changé(...) Selon son habitude, elle est vêtue avec une élégance et simplicité et ne porte en guise de bijoux qu’un pendentif en or serti d’une opale, une pierre exceptionnelle aux reflets d’eau et de feu, que lui ont offert les femmes du clan qui l’a adoptée. Elle est attentive à ce qui l’entoure, bien que son visage soit aussi impassible que celui de l’aborigène qu’elle accompagne.
« Quelle est votre opinion personnelle sur ce Musée? » demande la journaliste à Sarah, qui explique que le bénéfice de cette promotion des Arts Premiers profite essentiellement aux riches collectionneurs et aux marchands d’art occidentaux, résultat dont les premiers effets sont déjà sensibles : le moindre objet ancien d’Océanie ou de Papouasie atteint un prix vertigineux…»
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Ce livre est disponible en librairies à Paris, et bientôt dans celles de Nouméa et du Pacifique, il peut être commandé à l'Harmattan service des ventes. (son prix: 17 euros)
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